Distance sociale, distance spatiale, gestes barrières

En février dernier est apparue l’expression « distance sociale » ou « distanciation sociale » : maintenir une distance d’un mètre au moins entre deux personnes, changer de place toutes les quinze minutes, etc. On retrouve cette expression sur de nombreux sites para-médicaux ou d’information.

Rapidement, on nous a encouragés à utiliser plutôt l’expression « geste barrière » que « distance sociale ». Ou plutôt, cette « distanciation sociale » fait partie des « gestes barrière », de même que tousser dans son coude ou se laver les mains.

La crainte, dans une telle expression étant que les liens entre les gens se distendent. Et que, peu à peu, on oublie ses voisins, ses amis, sa famille.

Et puis, cette semaine, surtout dans les médias suisses, j’ai vu apparaître une nouvelle expression : « distance spatiale ». Histoire de se renouveler (symptôme journalistique ?), de renouveler les expressions (on parlait de coronavirus, aujourd’hui on ne parle plus que de Covid-19). On change l’expression usuelle (distance sociale) par une expression homophonique, paronomastique (bref, qui d’un point de vue sonore, lui ressemble) : distance spaciale.

Seulement, la « distance spatiale », personnellement, cela m’évoque la vitesse lumière et l’infinie distance des étoiles à nous, petite planète perdue dans l’univers.

Mais surtout, la « distance spatiale », c’est un pléonasme ! Comment une distance pourrait-elle être autre que spatiale ?

Si. Elle pourrait être temporelle. Et là, ça devient surréaliste.

Il est dix heures pour moi, je termine l’analyse de « La Vie antérieure » de Baudelaire. Mais il est 10h15 pour Kevin qui prend son sac et se lève. En même temps, Vanessa entre en classe : il est 9h10 pour elle.

Un peu déboussolée par cette temporalité qui fuit les montres et les Natel, j’entre en salle des maîtres. Temporalité pause-café, la mienne, donc, nous sommes trois maîtres. Ca va, c’est autorisé. Pendant ce temps arrive un enseignant, pressé : pour lui ça vient de sonner, c’est 8h15 et il n’a pas eu le temps de déjeuner. En même temps, des odeurs appétissantes embaument, sortant des micro-ondes (qui, entre nous, laissent passer les odeurs mais non les ondes) : trois collègues sont déjà arrivées à l’heure du repas de midi.

Le temps s’est fragmenté en myriades de pistes parallèles, et je cours désormais dans un kaléidoscope temporel : j’ai besoin de voir Nassim, mais sa piste temporelle l’a déjà amené hors du gymnase.

Pour retrouver le moment où j’aurais pu croiser cet élève, je tente alors de remonter le cours temps, arpentant les couloirs du gymnase en sens inverse, selon le marquage au sol, espérant le retrouver avant sa prochaine venue au gymnase.

Moralité : il est important d’adopter les gestes barrières, mais ne négligeons pas le danger des expressions incorrectes !



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